Sami Dorbez
15/06/2013, 23h46
قصة حياة اشر المزراحي كما يرويها حفيده المقيم في باريس
Yaacov ASSAL
est le petit fils d'Acher MIZRAHI, fils de SARAH
Il est producteur de Télévision
Voici ce qu'il a écrit:
[SIZE="5"][COLOR="Blue"]ACHER SIMON MIZRAHI
1890-1967
Mon grand-père Acher Shimon Mizrahi (Acherico) est né dans la vieille ville de Jérusalem en 1890, fils d' Isaac (Sahouka) et de Vida née Alhadeff, originaire de Rhodes. Son père, le rabbin Isaac Mizrahi, était célèbre pour ses connaissances de la Kabbale, et aussi connu pour être toujours entouré de nombreux disciples.
Au début du siècle dernier, ses parents décidèrent de quitter la vieille ville de Jérusalem pour s'installer dans le nouveau quartier, en dehors des murailles, Yemin Moché. Ils bâtirent, leur nouvelle maison, en face de la synagogue séfarade et un four qui devint pour les habitants, le lieu où l'on venait faire cuire leurs "Bisquotchos" (petits gâteaux secs), leurs "Bouriquitas" (gâteaux salés au fromage ou au épinard), et le "Hamine" du chabbat.
Acher Mizrahi, était Hazan, chanteur et joueur de luth. Il avait une belle voix et était un musicien doué. Il brodait également des sacs pour le talith, et les Parokhots (rideaux pour l'Arche Sainte). Il se maria très jeune avec Rahel, fille d'une famille les plus connues de Jérusalem, la famille Alcheikh.
Pendant la guerre des Balkans (1912-1913), l'armée ottomane mobilisa les jeunes juifs pour le service militaire. Devant le nombre important de morts, certains Yerosalimitains décidèrent de quitter le pays ou de se cacher.
C'est ainsi que le rabbin Paligel, de Jérusalem, aida Acher à quitter le pays pour La Valette, dans l'ïle de Malte muni d'une lettre de recommandation pour le Grand Rabbin de la ville. C'est déguisé en ouvrier qu'Acher quitta la Palestine sur un cargo transportant des oranges. La petite communauté de Malte, n'avait pas besoin d'un autre chantre, et on le dirigea vers la grande Kéhila de Tunis où "Baba Dany" l'aida à s'intégrer. Acher rencontra une communauté dynamique où il fut tout de suite très bien accueilli. Un an plus tard, son épouse Rahel et ses deux filles, Rebecca et Sara, vinrent s'installer à Tunis.
"L'homme à la voix d'or" de Jérusalem conquit d'abord les Juifs de Tunis et puis ceux de toute la Tunisie. Il leurs enseigna l'amour de Sion et des chants sur Jérusalem. En 1915 et en 1916 naquirent Judith et Isaac.
En 1919, au lendemain de la déclaration Balfour et après la fin de la première guerre mondiale l'espoir de voir renaître l'Etat juif sans cesse grandissait. L'appel du pays, et la grande famille laissée en Palestine, décidèrent Acher Mizrahi de revenir à sa ville natale Jérusalem. Il y retrouva, son quartier de Yemin Moché avec le célèbre moulin de Montefiore, ses géraniums, et la synagogue où il aimait chanter depuis son plus jeune âge.
Acher Mizrahi, se réintégra sans aucun problème. Il composa de nombreuses chansons en Ladino des "romances" que l'on fredonne encore de nos jours.
L'écrivain Yaacov Yehoshoua dans son livre "Enfance dans la vieille Jérusalem" le décrit ainsi: "Acher Mizrahi était le plus célèbre de tous les musiciens que connut Jérusalem. Sa renommée s'étendait même jusqu'aux villes et villages arabes. Les jeunes filles de Jérusalem, racontaient que tous, garçons et filles étaient séduits par sa beauté. Il était brun aux yeux verts et avait une voix conquérante. Contrairement aux autres musiciens qui s'habillaient négligemment, Acherico était toujours tiré à quatre épingles... Un foulard de soie blanche ou de couleur entourait toujours son cou, pour protéger sa voix. Lorsque il arrivait, tous se levaient pour le recevoir comme on le fait pour recevoir une personnalité. Il tenait son luth enveloppé dans de la soie, sous son bras. Sur de lui, il marchait tranquillement" (page 212).
En 1926 le Comité de la Grande Synagogue d'Alexandrie, l'invita. Il eut un tel succès qu'on lui demanda de s'installer en Égypte comme Chohet et Hazan. Mon grand père bien que Chohet (diplômé de Jérusalem) était trop sensible pour pratiquer la chehita. Ce qui fut la raison principale de son refus.
L'année 1929 fut celle des troubles et de l'insécurité en Palestine; Hebron, fut la plus éprouvée, et le slogan qui revenait toujours était "édbah el yaoud" (égorge les Juifs). Mon grand père avait l'habitude de porter la "chachiya stambouli" (chapeau de couleur rouge et de haute taille) comme d'ailleurs, beaucoup d'arabes; La "Hagana" lui conseilla de changer son chapeau pour qu'il n'y ait pas d'erreur. Ce que fit Acherico et qui déplut fortement à ses amis arabes, ils virent dans ce geste son appartenance aux Sionistes, pour eux "Achir" n'était plus un "Oueld el Balad" (enfant du pays). Les troubles s'aggravèrent, il y eut de nombreux morts, dont les amis les plus proches d'Acher, ce qui le convainc de retourner à Tunis.
De nombreux chercheurs et musicologues, affirment qu' Acher Mizrahi a introduit en Tunisie, l'influence Andalouse, qui eut aussi un impact sur la musique arabe tunisienne. Acher a écrit pour les plus grands chanteurs de l'époque; Il a composé et écrit plus de trois cents chansons en arabe, plus de deux cent en hébreu, sans compter ceux qu'il avait rédigés en ladino. Parmi les nombreux interprètes des années 20, la plus célèbre, fut sans aucun doute, Habiba Messika - "Habibat el Kul" "l'aimée de tous". Cette chanteuse qui fut musicienne, danseuse et surtout actrice eut une fin tragique. Son amant, Eliahou Memouni un riche commerçant de Testour, de jalousie, l'arrosa d'essence, pendant son sommeil et la brûla. On était en 1930, Habiba Messika avait à peine 35 ans.
Jessie Riahi dans son livre "Cantique pour Habiba" raconte la première rencontre entre Habiba et Acher Mizrahi:
"...Habiba se promenait avec une amie dans les ruelles de Souk El Attarine à Tunis, c'est là qu'elle rencontra Acher Mizrahi. Elle lui coupa la route et se plantant net devant lui, les yeux rieurs elle dit:
- Si Acher, voudriez-vous m'apprendre à jouer du luth?
- Mais qui es-tu donc? demanda-t-il, médusé.
- Je suis la nièce de Leïla Sfez... Comment résister? Acher Mizrahi lui enseigna donc le luth mais aussi quelques règles rudimentaires des chants et de la danse...".
Acher Mizrahi lui ouvrit le monde de la musique. Habiba Messika chantait surtout des airs égyptiens, le répertoire d'Oum Kaltsoum et de Mohamed Abdelwahab mais aussi celui d'Acher Mizrahi.
Après la mort tragique de Habiba, Acher composa, d'après ma mère, une quina (complainte) - que l'on fredonne toujours; dont voici quelques strophes:
Ya ness essmeou el ghriba Venez écouter l'impensable
Eli gara li ana Hbiba Ce qui m'est arrivé à moi, Habiba
Zit men el hkedma farhana Je suis rentrée heureuse de mon travail
Tkhelt el farchi nassanna Fatiguée J'ai été me couchait
Tkel aliya ouahad rhadar Sur moi c'est jeté un homme cruel
Rma aliya el nar Sur moi il a jeté le feu
Ma tkelouch el denia nassiana Ne dites pas qu'on oublie avec le temps
Eli amelali ma khalitouch Moi, je ne l'ai pas laissée
Ikamel el shar Finir le mois
Dans les années 30, Acher entreprit un voyage à Paris pour enregistrer des disques, avec les chanteurs Cheikh Elafrit, Chafia Rochdi, Dalila chanteuse et danseuse et le pianiste Mess'oud Habib, Sara, ma mère, l'accompagnait toujours dans ses déplacements pour s'occuper de ses affaires. La compagnie Pathé tourna un court métrage, genre de clip, avec Acher Mizrahi qui chantait et jouait du luth, alors que Mess'oud Habib jouait du piano et Dalila dansait. On projeta ce clip dans toutes les salles de cinéma de Tunis. C'est à cette époque qu'Acher Mizrahi fut accepté comme membre de la "Société des Auteurs et Compositeurs de Musique" de France (SACEM).
Dans son livre "Tunis chante et danse" Hamadi Abassi écrit que l'un des chanteurs les plus en vogue Cheikh Elafrit, doit au "compositeur-chanteur Acher Mizrahi son plus joli succès, qui restera longtemps indétrônable :"Tisfer we titgharab" (voyage et tu connaîtras le goût de l'exil)" (page 27). Je voudrais souligner le fait que même dans cette chanson arabe, écrite pour un public arabe, Acher Mizrahi parle de son pays natal. Hamadi Abassi a choisi, une citation de Marcel Proust pour décrire Acher Mizrahi: "il appartenait à la race de ces êtres moins contradictoires qu'ils n'en ont l'air, dont l'idéal est viral justement parce que leur tempérament est féminin". (page 48). Il ajoute que "Tunis découvrait les accents de sa- nouvelle voix électrique, celle qu'émettait Radio Tunis, premier poste d'émetteur privé, située Place de l'Alliance Israélite. Sur les ondes Acher Mizrahi chantait: "Atini busa min fummik yichwi dammik ya mahlak" "Iaisse-moi prendre un baiser sur ta bouche, dieu, que tu es jolie" (page 52). Cette chanson devint l'une des plus populaires en Tunisie.
Tous les lundis Radio Tunis avait une émission hébraïque d'une demi-heure à laquelle participait Acher Mizrahi. Un jour la direction de Radio Tunis reçoit une lettre du grand Rabbin de Vienne, la félicitant de l'émission en langue hébraïque. Il avait entendu Acher Mizrahi, chanter, en hébreu -"Ma yaffim aleylot" -°°que sont belles les nuits". accompagné de ses deux filles, Rebecca et Sara. Une année lorsque la fête de Chavouoth se trouva être un lundi, jour de l'émission, mon grand père refusant de chanter un jour de fête, il fut licencié.
Les enfants de Rahel et Acher Mizrahi épousèrent tous des Juifs Tunisiens. Rebecca se maria avec Elle Hassan, Sara avec Victor Assal, Judith avec Jacob Nahmani et Isaac avec Judith Uzan.
En 1993, à l'occasion du film "De Carthage à Jérusalem", que j'ai réalisé pour la télévision Israélienne, Raoul Journo, un des plus grands admirateurs d'Acher Mizrahi, parla avec beaucoup d'émotion de mon grand père. Il affirma "qu'Acher était l'un des trois grands compositeurs les plus en vogue en Tunisie à cette époque", il a même ajouté qu'il n'y avait que lui pour chanter le"Bagdadi". Raoul se souvient même que pour être admis à Radio Tunis, il choisit la chanson "Ya ness Hamelth", un des grands succès d'Acher Mizrahi.
C'est en 1946 qu'Acher Mizrahi publia chez Maklouf Nadjar de Sousse, son livre "Ma'adané Mélekh" (Genèse XLIX, 20) - "Mets délicats des rois", un recueil de ses "Pioutim" (chansons liturgiques). Dans la préface du livre, le grand rabbin de Tunisie Rabbi Haïm Bellaïche écrivait: "Ces lèvres sont des roses. Son palais des douceurs que l'on recherche du fin fond du pays et par de la les mers, pour chanter ses chants orientaux".
Acher Mizrahi fut décoré plusieurs fois. La plus importante des médailles reçues fut celle du Bey le "Nichan Iftikhar".
On peut aujourd'hui avec le recul, affirmer qu'Acher Mizrahi a mâtiné la musique judéo-tunisienne, des sons de la musique de Jérusalem. Son succès fut aussi grand chez les amateurs de musique arabe comme me l'a confirmé, récemment lors de mon séjour à Tunis, le musicologue tunisien Saleh Mahdi.
Il introduit dans ses chansons, l'amour de Sion, et l'histoire d'Israël, que ses élèves de l'école "Or Thora" de Tunis chantent encore aujourd'hui de Jérusalem à Paris, et de Londres à New York, où ils sont devenus chantres.
Dans un travail en cours sur les synagogues de Tunis, Robert Attal rappelle avoir assisté dans la Synagogue de la Rue de la Loire à une lecture hebdomadaire des Psaumes présidée par Acher Mizrahi; à l'issue de l'office du Samedi soir, Acher Mizrahi récitait de sa voix pure et chevrotante la Habdala, et cela régulièrement pendant plusieurs années. En plus des musiques qu'il composait, il avait aussi écrit des chants liturgiques en les adaptant sur de la musique arabe, surtout sur des airs égyptiens.
En février 1957, le Président Habib Bourguiba visita la "hara"le quartier juif de Tunis et l'école "Or Thora" où enseignait mon grand père. Dans son livre "Trois amours vécues" Charles Haddad, président de la communauté raconte: "Connaissant son art, je lui demandai [à Acher Mizrahi - Y.A.], de créer une chanson en l'honneur du Président Bourguiba qui visitait le q quartier juif. J'ai une photo rappelant ce passage de Bourguiba, avec le beau visage d'Acher qui avait agréablement surpris le président par la qualité de son chant et aussi des paroles, conçues dans l'arabe le plus pur, qu'Acher parlait à la perfection" (page 166).
Enfin dans son livre "Juifs et Arabes au pays de Bourguiba" Charles Haddad décrit sa dernière rencontre avec Acher Mizrahi (lui a eu lieu à Marseille en 1967:
"Il était gravement malade mais l'ignorait. Et ses proches, qui voulaient hâter son départ, avaient rencontré des difficultés d'ordre administratif qui remettaient ce départ à une date ultérieure. Apprenant que j'étais à Marseille, le chantre fit le voyage d'Avignon pour me voir et obtenir mon intervention. Je fis fixer son départ à très proche échéance. Il m'en sut gré et, voulant m'exprimer sa reconnaissance, mit la main à la poche pour me proposer des honoraires. Je le grondai en lui rappelant notre passé commun. Puis me révisant:
- Vous pouvez me régler si vous le voulez.
- Comment?
- En me chantant quelques chants des temps heureux. - Volontiers, me dit-il.
Je plaçai devant lui magnétophone et micro qu'une amie disparue et tant regrettée, Mme Uzan, eu vite fait de me procurer, et il enregistra tous les chants qui lui venaient aux lèvres. Puis s'arrêtant, il me dit: Je vais vous chanter un chant de Kippour qui se situe à l'heure de l'évocation du sacrifice du Grand Prêtre. L'air remonte à l'époque la plus reculée, peut-être à la destruction du Temple. Je crois être l'un des seuls à le connaître encore. Et sa voix s'éleva comme la douce musique des siècles et je l'enregistrai pieusement. Il me donnera sa bénédiction et ira mourir quelques semaines après à Jérusalem, dans sa maison natale, récupérée après la guerre des Six jours" (page 152).
Acher Mizrahi revint dans le courant du mois d'Août 1967 en Israël. Il retrouva Jérusalem, trente huit ans après l'avoir quittée; Se promena dans la vieille ville entre les murailles, y rencontra d'anciennes connaissances, effleura d'une main tremblante les pierres du Kotel, revit son quartier de Yemin Moché et le moulin de Montefiore.
Hospitalisé, il entendit la veille de "Simhat Thora" les prières et les chants qui se disaient pour la première fois devant la "Porte de Jaffa", à Jérusalem qui venait d'être réunifiée. Un sourire se dessina sur son beau visage, il écoutait ces chants et ses chants
de la fenêtre ouverte, il ferma alors les yeux pour la dernière fois, dans cette Jérusalem qu'il aimait tant.
Dans le courant de l'année suivante, ma mère, eut la sage intuition, de permettre gracieusement la réédition du livre de son père "Ma'adané Mélekh".
Le "Chabath Zakhor" fut consacré cette année là à la mémoire d'Acher Mizrahi dans de nombreuses synagogues de Jérusalem avec la participation des Rabbins, Ovadia Yoseph, David Chlouch et David Guez. Le grand rabbin de Jérusalem Elihaou Pardès qui avait connu Acherico depuis sa tendre enfance, évoqua dans son discours la vie riche et pleine d'enseignements d'Acher Mizrahi.
Que son souvenir soit béni.
Je voudrais enfin remercier mon vieil ami Claude Sitbon de m'avoir encouragé et aidé à faire paraitre cet ouvrage, ainsi que Robert Attal pour ses conseils précieux, et pour avoir mis à ma disposition l'ouvrage original de mon grand père....T